Forêt thérapie

Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon

Exposition. CAC La Traverse. Centre d'Art Contemporain d'Alfortville 3 mai - 23 juin 2018

2018
Institut de néoténie pour la fin du travail
Musique pour les plantes vertes
Paro

Entretien avec Bettie Nin

Cet entretien entre les artistes Gwenola Wagon & Stéphane Degoutin et la directrice du CAC La Traverse, a eu lieu en avril 2018 pendant le montage de l’exposition.

Bettie Nin — L'exposition Forêt thérapie mêle des décors de nature artificielle et de bureau dévasté à des films explorant le monde actuel, un monde envahi de machines, de robots et d'intelligences artificielles. Cette omniprésence des nouvelles technologies, qui dessine un nouveau modèle sociétal, semble vous amuser beaucoup. D’où vous vient cette fascination pour les nouvelles technologies ?

Stéphane Degoutin — Dans notre travail on parle des nouvelles technologies mais on parle aussi beaucoup de forêts, d'animaux, d’êtres humains, de vibrations et d'ondes. Nous ne sommes pas dans une obsession des NTIC, on cherche plutôt à relier ces questions qui sont très présentes à des choses plus humaines, plus fondamentales.

Gwenola Wagon — On s'intéresse aux moments limites où l’être humain est parfois aux confins de moments extrêmes, avec soit des machines qui le perturbent, soit des machines qui viennent interférer dans sa communication. Quand il y a des interférences, des brouillages ou des potentialités qui s'ouvrent.

Bettie Nin — Le titre de l'exposition « Foret thérapie » évoque la nature mais aussi la philosophie du "prendre soin" (qu'on appelle aussi le « care »). Pouvez-vous nous en parler ?

Stéphane Degoutin — L'idée de thérapie c'est l'idée qu'une installation en elle-même puisse constituer un environnement, peut-être pas thérapeutique au sens propre du terme, mais un environnement qui modifie les rapports entre les personnes dans l'exposition et le rapport que l'on a aux œuvres. L'une des pièces qui nous paraît la plus simple et la plus efficace, c'est celle qui nous plonge dans une forêt. On y met le spectateur dans l'ambiance du tournage du film World Brain et on le fait participer un peu à cette expérience. Le public est invité à expérimenter des situations qui ne sont pas forcement pré-écrites.

Bettie Nin — Cette exposition met le corps du visiteur en action, elle propose des positions particulières au corps…

Gwenola Wagon — Oui, nous voulions proposer au regardeur, ou au lecteur, d'adopter une posture qui prenne en compte tout son corps. L'idée d'escalader un rocher pour regarder un film sur le ventre avec la tête plongée dans un trou lumineux, en livrant son dos à qui veut bien le masser, par exemple, nous amusait. C'est une expérience que l'on avait envie de vivre nous-même. Et on se demandait ce que ça pouvait faire de voir un film dans des conditions aussi étranges... Une autre expérience proposée est celle d'aller voir un film dans une hutte-sauna. Pour le visiteur ça veut dire entrer par une petite trappe, se faufiler à l’intérieur, s’asseoir sur des brindilles et avoir en plus de temps en temps une modification corporelle de chaleur. Et puis il y a encore une autre expérience qui, pour moi, est le summum du plaisir : Celle de s'asseoir dans une forêt pour y lire des livres, de s'allonger au sol, de sentir le contact avec la terre, l'humus, la mousse, les feuilles mortes, etc.

Bettie Nin — Il y a pratiquement un film par salle dans cette exposition. Ces films, vos films, sont en partie constitués d'images que vous trouvez sur Internet. Vous décririez-vous comme un genre de nouveaux collectionneurs, des fouineurs numériques ?

Stéphane Degoutin — Oui, on rentre complètement dans cette catégorie et c'est une pratique qu'on aime beaucoup. Je compare ça au travail d'un peintre traditionnel qui va chercher ses couleurs. Chez nous il n'y a pas forcement un but plastique mais il y a tout de même une recherche de composition, l'envie de mettre les choses les unes par rapport aux autres. Une fois qu'on les met bout à bout, ces vidéos qui n'ont pas forcement de valeur en elles-mêmes, commencent à former un assemblage. Un peu comme le Facteur Cheval qui a glané des objets trouvés sur son chemin pour construire son Palais.

Gwenola Wagon — C'est l'art du collage. Je suis fan des artistes qui font du collage, en particulier au cinéma, Dada, Debord et bien d'autres artistes dont l'emprunt relève d'une forme d'art. Aujourd'hui, cela devient une pratique très post-Internet, parce qu'avec les moteurs de recherche et les propositions de classement par référencements on trouve un nombre de vidéos proliférant presqu'à l'infini et le collage de ces trouvailles semble à portée de main, donc facile. C'est d'ailleurs devenu une pratique commune, et par extension, cela devient aussi parfois une manière de penser...

Cat loves pig…

"Thérapeutes, progrès, bureaux" par Antoine Boute

« On n’arrête pas le progrès, les oiseaux nous regardent de haut, il n’y a pas d’alternative au progrès, pour les oiseaux nous passons à la télé, l’alternative au progrès c’est le progrès, la nature progresse, à l’échelle des tropiques les hippocampes sont des animaux domestiques, la culture progresse, les oiseaux sont des profs, l’univers progresse et s’étend, les oiseaux chantent comme des truands, deux secondes avant le big bang tout le monde se ressemblait, les oiseaux n’arrêtent pas de nous parler, la pointe du progrès pointe au-delà d’elle-même, les oiseaux sont des anthropologues, ils glandent en nous observant, au-delà du progrès il y a ce vers quoi le progrès progresse, les animaux sont des médicaments, il y a un extérieur au progrès qui attire vers lui le progrès, les thérapeutes sont des oiseaux anthropologues qui glandent et observent, le non-progrès, l’inverse du progrès aspire vers lui le progrès, c’est logique, mathématique, évident, les animaux sont des anthropologues qui doucement pointent leur frimousse, la pointe du progrès pointe au-delà d’elle-même, c’est drôle, nous sommes tous des médicaments, c’est drôle, au-delà du progrès il y a la latence du drôle, les oiseaux chantent comme des truands thérapeutes, le monde en tant que visible est une blague, l’hypothétique et absurde drôlerie du progrès du futur fout l’ambiance dans le présent et le passé, les hippocampes se voient intelligemment dispatchés de ci de là le long des tropiques, la nature est workaholic, la forêt n’est pas qu’un bureau, les flaques sont des écrans, le drôle absurde et triste du non-progrès aspire à lui le progrès, quelque part tous les animaux sont domestiques, le non-progrès drôle, absurde et triste qui aspire vers lui le progrès respire et régresse, il digère, ventile, pointe le passé dans le futur et vice-versa, quelque part à l’échelle planétaire le vivant est domestique de part en part, la vie est la blague que la planète a trouvée pour être drôle, les plantes n’arrêtent pas de chialer mais intelligemment, tout le monde est au taquet, les écrans sont des flaques, les flaques sont des blagues, les végétaux sont au taquet, le taquet des animaux domestiques concerne l’habitat, l’habitacle, du haut de leurs arbres les corneilles nous regardent et se moquent de nous, nous progressons dans l’intelligence de l’habitacle disent les animaux de compagnie, comme les corneilles se moquent elles pointent ce qui est ridicule et ce faisant nous conseillent, les hippocampes flottent droits comme des i en imitant les arbres, leur ataraxie est fluide et verticale, les corneilles sont nos conseillers noirs, nos dark conseillers en creux, le progrès du futur est l’animal de compagnie de l’œil du passé, le progrès est un animal de compagnie qui se joue de nous, les yeux des hippocampes imitent les oiseaux dans les arbres, le monde est un étang, les corneilles et les hippocampes sont des collègues de bureau. »

  • Antoine Boute est l'auteur-invité du dispositif de production de texte artistique du CAC La Traverse, pour l'exposition Forêt thérapie. Cet écrivain belge né à Bruxelles en 1978 est aussi un poète sonore, essayiste et organisateur d'événements qui explore les impacts entre corps, langue et voix selon divers supports et moyens (papier, internet, scène).

Diffusion

Exposition. CAC La Traverse. Centre d'Art Contemporain d'Alfortville 3 mai - 23 juin 2018

Générique

Commissaire : Bettie Nin et Cédric Taling Avec Antoine Boute, Agathe Joubert, Lola Perez-Guettier, Pierre Cassou-Noguès.

Assistantes montage : Jeanne Gilbert et Camille Riou

Avec l'aide de Matthieu Lamoure pour la construction du rocher de massage.