Souris télépathes

Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon

Data center et souris

2014

Souris télépathes est la sculpture à échelle réduite d’un data center. Sur la maquette, la disposition des miroirs répète à l’infini les allées de serveurs, typiques de l’architecture des data centers. Des souris vivantes colonisent ponctuellement la maquette lors d’événements.

Les architectes radicaux italiens d’Archizoom (No Stop City) et de Superstudio (Monument continu) – les deux projets datent de 1969 – postulaient une ville tramée, exagérant la standardisation de l’environnement et de la communication – fusionnant les modèles de l’usine et du supermarché.

Aujourd’hui ce sont les allées isotropes, immaculées et stériles des data centers qui sont baignées d'une lumière égale. Des souris explorent la maquette en se frayant un chemin entre les allées et les machines. Elles avancent dans les couloirs, circulant comme des éclaireurs, repérant le terrain pour leur communauté, s'arrêtant devant certains serveurs. Des bruits donnent à penser qu'elles commencent à grignoter les câbles.

Souris télépathes évoque l’expérimentation menée par des chercheurs de Duke University, qui réunissent deux rongeurs par l'intérieur du cerveau en 2013. Les chercheurs réunissent ensuite dix rats, puis cent, puis mille. Les connexions se font sans fil. Un cerveau de méta-rat est créé. Personne ne sait au juste ce qu'il produit (on ne décode pas encore les pensées des rats), mais le comportement des rats a changé. La cohésion du groupe est frappante.

Umwelt rat réseau

Umwelt rat réseau est un décor pour une scène du film World Brain, montrant une colonie de rats explorant un data center. World Brain traite entre autres de l’espace physique qu’occupent les données circulant sur Internet : le dispositif technique formé par l’ensemble des data centers du monde, ainsi que leurs connexions (principalement les câbles souterrains et sous-marins), soit un ensemble très vaste, aux contours flous, un espace dont l’emprise est mondiale, mais qui se situe hors du monde, externalisé, protégé de la société humaine, de l’environnement naturel et de la géographie. Cette infrastructure forme un milieu conçu pour le bien-être des données. À l’instar des zoos, il est destiné à abriter une espèce non humaine. World Brain interroge le monde propre (Umwelt, d’après l’expression de Jakob von Uexküll) des données en l’appréhendant de l’intérieur, adoptant autant que possible le point de vue des données.

Des environnements comme les data centers sont caractérisés par un très grand hermétisme, combiné à un accès optimal aux réseaux, ainsi que par une automatisation poussée. Dans ce contexte, il est strictement inenvisageable que des espèces animales puisse s’y infiltrer ou même le coloniser, toute intrusion étant rendue impossible.

Des rats dont l’adaptabilité a été améliorée par des décennies de recherches faites sur eux pour soigner l’espèce humaine envahissent les réseaux des data centers. Dans ces espaces stérilisés et automatisés, des amas de serveurs sont occupés progressivement par des rongeurs, perturbant ce qu’il reste d’un milieu devenu hermétique à notre propre humanité. Une colonie de rats envahit ces lieus, elle se les accapare pour s’en faire un terrier, créant des galeries, nichant dans les serveurs, accumulant les excréments, grignotant les câbles.

Le data center devient l’Umwelt des rats à l’ère des machines en réseau.

Diffusion

Exposition Média Médiums, Galerie Ygrec, Paris 4 avril - 31 mai 2014.

Exposition Convergences: l'art et le numérique en résonance, Maison Populaire, Montreuil 15 janvier - 4 avril 2015

Générique

Construction : Martin Gautron

Photos : Guillaume Onimus

Production : Irrévérence Films