Cet entretien entre les artistes Gwenola Wagon & Stéphane Degoutin et la directrice du CAC La Traverse, a eu lieu en avril 2018 pendant le montage de l’exposition.
Bettie Nin — L'exposition Forêt thérapie mêle des décors de nature artificielle et de bureau dévasté à des films explorant le monde actuel, un monde envahi de machines, de robots et d'intelligences artificielles. Cette omniprésence des nouvelles technologies, qui dessine un nouveau modèle sociétal, semble vous amuser beaucoup. D’où vous vient cette fascination pour les nouvelles technologies ?
Stéphane Degoutin — Dans notre travail on parle des nouvelles technologies mais on parle aussi beaucoup de forêts, d'animaux, d’êtres humains, de vibrations et d'ondes. Nous ne sommes pas dans une obsession des NTIC, on cherche plutôt à relier ces questions qui sont très présentes à des choses plus humaines, plus fondamentales.
Gwenola Wagon — On s'intéresse aux moments limites où l’être humain est parfois aux confins de moments extrêmes, avec soit des machines qui le perturbent, soit des machines qui viennent interférer dans sa communication. Quand il y a des interférences, des brouillages ou des potentialités qui s'ouvrent.
Bettie Nin — Le titre de l'exposition « Foret thérapie » évoque la nature mais aussi la philosophie du "prendre soin" (qu'on appelle aussi le « care »). Pouvez-vous nous en parler ?
Stéphane Degoutin — L'idée de thérapie c'est l'idée qu'une installation en elle-même puisse constituer un environnement, peut-être pas thérapeutique au sens propre du terme, mais un environnement qui modifie les rapports entre les personnes dans l'exposition et le rapport que l'on a aux œuvres. L'une des pièces qui nous paraît la plus simple et la plus efficace, c'est celle qui nous plonge dans une forêt. On y met le spectateur dans l'ambiance du tournage du film World Brain et on le fait participer un peu à cette expérience. Le public est invité à expérimenter des situations qui ne sont pas forcement pré-écrites.
Bettie Nin — Cette exposition met le corps du visiteur en action, elle propose des positions particulières au corps…
Gwenola Wagon — Oui, nous voulions proposer au regardeur, ou au lecteur, d'adopter une posture qui prenne en compte tout son corps. L'idée d'escalader un rocher pour regarder un film sur le ventre avec la tête plongée dans un trou lumineux, en livrant son dos à qui veut bien le masser, par exemple, nous amusait. C'est une expérience que l'on avait envie de vivre nous-même. Et on se demandait ce que ça pouvait faire de voir un film dans des conditions aussi étranges... Une autre expérience proposée est celle d'aller voir un film dans une hutte-sauna. Pour le visiteur ça veut dire entrer par une petite trappe, se faufiler à l’intérieur, s’asseoir sur des brindilles et avoir en plus de temps en temps une modification corporelle de chaleur. Et puis il y a encore une autre expérience qui, pour moi, est le summum du plaisir : Celle de s'asseoir dans une forêt pour y lire des livres, de s'allonger au sol, de sentir le contact avec la terre, l'humus, la mousse, les feuilles mortes, etc.
Bettie Nin — Il y a pratiquement un film par salle dans cette exposition. Ces films, vos films, sont en partie constitués d'images que vous trouvez sur Internet. Vous décririez-vous comme un genre de nouveaux collectionneurs, des fouineurs numériques ?
Stéphane Degoutin — Oui, on rentre complètement dans cette catégorie et c'est une pratique qu'on aime beaucoup. Je compare ça au travail d'un peintre traditionnel qui va chercher ses couleurs. Chez nous il n'y a pas forcement un but plastique mais il y a tout de même une recherche de composition, l'envie de mettre les choses les unes par rapport aux autres. Une fois qu'on les met bout à bout, ces vidéos qui n'ont pas forcement de valeur en elles-mêmes, commencent à former un assemblage. Un peu comme le Facteur Cheval qui a glané des objets trouvés sur son chemin pour construire son Palais.
Gwenola Wagon — C'est l'art du collage. Je suis fan des artistes qui font du collage, en particulier au cinéma, Dada, Debord et bien d'autres artistes dont l'emprunt relève d'une forme d'art. Aujourd'hui, cela devient une pratique très post-Internet, parce qu'avec les moteurs de recherche et les propositions de classement par référencements on trouve un nombre de vidéos proliférant presqu'à l'infini et le collage de ces trouvailles semble à portée de main, donc facile. C'est d'ailleurs devenu une pratique commune, et par extension, cela devient aussi parfois une manière de penser...