Laboratoire de recherche du zoo de Vincennes

Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon

Texte et tirage photographique

2010

NB. Le texte date de 2010. L'action se déroule au zoo de Vincennes vers la fin des années 2000, avant sa rénovation.

Début du XXIe siècle. Fermé depuis plusieurs années, le zoo de Vincennes attend une réhabilitation qui tarde à venir. L'argent manquant pour l'entretien, la végétation prolifère, envahit les allées, grimpe sur les parois des rochers, déborde des murs d'enceinte, les racines font craquer le sol. Usée par l'âge et les intempéries, la fine enveloppe de béton des rochers artificiels se dégrade. Une patine la recouvre, lui conférant un aspect paradoxalement naturel – excepté aux points où le béton s'effrite et met à nu les armatures métalliques censées le maintenir.

Photos prises le dernier jour d'ouverture du zoo, le 30 novembre 2008

Le grand rocher, rénové quelques années plus tôt, arbore une peau plus lisse et d'un gris plus uniforme. Il apparaît au détour des perspectives de Vincennes et de Saint-Mandé comme un jouet en plastique géant oublié dans la banlieue résidentielle tranquille. Triangle furtivement inséré dans l'entrelacs d'une sortie de Paris, ni central ni périphérique, il disparaît des pensées des habitants d'une métropole qui ne manque ni de richesses ni de problèmes.

Le zoo continue pourtant de vivre en quasi secret, caché à l'intérieur des ses murs. Les animaux, privés de la distraction du public, dorment toujours dans leurs rochers. Les gardiens continuent de patrouiller les allées vides. L'administration gère les affaires courantes.

Un collectif de chercheurs n'ayant pas trouvé de logement à louer à Paris ou en proche banlieue, s'introduisent dans le zoo la nuit, avec la complicité d'un gardien, pour dormir dans un rocher vide.

C'est en mai, il fait doux et les rochers leur offrent un abri minimal suffisant. Le zoo tourne en effectifs réduits, et il leur est facile de passer inaperçus. Des amis les rejoignent. Progressivement, le groupe grossit, et l'abri de fortune est peu à peu aménagé, en commençant par l'intérieur des cages, invisible.

Lorsque l'administration apprend finalement leur existence, les squatters sont trop nombreux pour être délogés facilement. Des manifestations de soutien s'organisent. Le zoo est devenu un espace utopique de liberté, une zone de non-droit en dehors de la ville, inaccessible aux intrus. Il est habité de manière animale par une communauté régressive d'intellectuels semi-primitifs.

Photos prises le dernier jour d'ouverture du zoo, le 30 novembre 2008

In Saint-Denis, François Coignet avait découvert le caractère universel du béton, matériau plastique qui se prête à tout usage, poudre magique qui rend obsolète les logiques constructives traditionnelles, permet de fabriquer toute création architecturale (voir Cyborgs dans la brume). Le Corbusier montrera plus tard que le béton armé « libère » le plan (« plan libre »), « libère » la façade (« façade libre »), « libère » la construction du sol (pilotis). La forme d’un édifice n’est plus dictée par les contraintes des matériaux: le matériau universel rend possible toute forme et libère le dessin architectural des anciennes nécessités constructives.

Aboutissement de cette logique, au zoo de Vincennes, la construction se voit totalement libérée. Le béton revient paradoxalement à l’état de nature. Il sert à construire une nature artificielle, reconstruite à partir d’une cellule de base unique – le rocher – forme naturelle entièrement libre qui se répand dans tout l’espace, et exprime à lui tout seul, en différentes variations formant un continuum, l’environnement supposé de toutes les espèces exotiques présentes ici.

Les rochers forment un décor unique et uniforme : le grand rocher mis à part, tous les autres présentent le même caractère. La peau terne et homogène se répand avec indifférence. Ni architecturaux ni organiques, les rochers relèvent plutôt du « blob » et de l’informe. On atteint ici une certaine essence du béton armé, l’indifférence du matériau se manifeste dans la construction d’un environnement artificiel reconstitué en poudre, homogène, dénué de vie : cellules d’habitations pour animaux, monument continu dont la trame architecturale se voit remplacée par le déroulement à l'infini d'une pierre inépuisable.

Diffusion

Utopia Factory, Zoo Research Lab (sérigraphies), La fabrique du hasard, Synesthésie, Saint-Denis, 2016

CPIF (Centre photographique d'Île-de-France, Pontault-Combault). 30 mars 2010

Utopia Factory, aux Passerelles-Centre culturel de Pontault-Combault. Exposition du 26 juin au 16 septembre 2010

Exposition, Île potentielle / Sex Park, Synesthésie, Saint-Denis, du 18 juin au 17 juillet 2010

Exposition Nogo Voyages, Galerie Ars Longa, Paris, 6 mai - 12 juin 2009

Attractions périphériques. Hospitalités 2009. Samedi 17 octobre 2009

Générique

Tirage photographique 150 x 100 cm

Avec l'aide du Centre Photographique d'Île-de-France.