World Brain

Le monde où nous vivons évoque les Fictions de Borgès. D’ailleurs, si quelqu’un voulait en écrire la suite, il n’aurait qu’à mettre bout à bout des coupures de presse. World Brain est constitué en grande partie de matériaux trouvés en ligne : vidéos téléchargées sur YouTube, compte-rendus scientifiques ou pseudo-scientifiques, fils de nouvelles… et d’aventures réelles. Le projet se visionne de manière linéaire ou éclatée, épisode par épisode.

L’utopie de la connexion universelle entraîne l’humanité dans un projet pharaonique : la construction d’un espace mondial spécifiquement conçu pour le confort des données, fait de centaines de milliers de data centers interconnectés par des câbles sous-marins ou souterrains. World Brain entraîne le spectateur dans cette machine prométhéenne. Beaucoup croient y voir émerger un cerveau mondial, dont nous ne serions que les neurones.

Le projet décrit le réseau planétaire qui nous entoure et offre des outils théoriques pour l'interpréter. Il analyse les effets pervers de la connexion universelle et le risque d'engourdissement des individus sous le règne de l'intelligence collective. Le film montre également les pérégrinations d'un réseau de chercheurs nomades qui se rencontrent loin des réseaux de recherche traditionnels, dans les forêts du monde. Ils imaginent différents scénarios prototypes de modes de vie expérimentaux, en tenant compte de l'interconnexion des êtres humains. Leur but est de construire un projet alternatif pour la survie de l'humanité.

World Brain dresse une brève histoire du fantasme de l’échange d’informations entre cerveaux. L’idée émerge bien avant Internet: galvanisme, magnétisme animal, fluide, mesmérisme, éther, cinquième élément, spiritualisme, télégraphe spirite… Puis elle devient réelle dans le sémaphore de Chappe, le télégraphe de Morse, le téléphone, la cybernétique et la lente création d’Internet.

L’idée de cerveau mondial est passée de la spéculation intellectuelle à la réalité quotidienne. L’utopie a basculé brusquement du fantasme au réel. Les êtres humains, tous reliés entre eux par l’intérieur, forment un superorganisme. L’humanité a commencé la fabrication d’un cerveau global, qu’elle construit laborieusement, synapse par synapse. Plusieurs auteurs ont imaginé une conscience collective, qui émergerait de la connexion universelle des pensées, notamment Ernest Renan (L’Avenir de la science, 1848), Joseph Dejacque (L’Humanisphère, 1899), Pierre Teilhard de Chardin (Le Phénomène humain, 1955), ou encore Howard Bloom (Global Brain, 2001). Cette théorie imagine l’espèce humaine unifiée. Elle conduit souvent à une vision mystique ou prophétique, parfois reliée à l’idée de biosphère et à l’hypothèse Gaïa.

L'installation permet de circuler à travers les livres ayant servi à construire le projet, entouré par les chapitres du film diffusés sur des moniteurs.